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Charles Toché (1851-1916) "Paludier du Bourg de Batz", 1888 ? - Aquarelle, 78 x 55 cm - Musée des beaux-arts de Quimper © Bernard Galéron

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Don d'une aquarelle de Toché

Charles Toché est un artiste encore assez méconnu qui a eu une belle carrière en tant que peintre décorateur et aquarelliste. L’œuvre rapidement brossée témoigne de ses qualités d’observateur et de sa parfaite maîtrise de l’aquarelle.

Cette aquarelle de grand format, rapidement esquissée, présente le portrait de trois quarts d’un paludier. Comme l’indique la dédicace, cette belle feuille évoque le passage de son auteur, Charles Toché, au Bourg de Batz qui est en réalité l’ancien nom de la commune de Batz-sur-Mer avant l’arrivée des chemins de fer. Le dédicataire de cette œuvre, François, est vraisemblablement le fils cadet de l’artiste, né en 1888.

Ce don permet de faire entrer dans nos collections cet artiste. Formé à Nantes par Félix Thomas, il séjourna à Venise et copia les maîtres italiens avant de rencontrer Édouard Manet à Paris. En 1880, ses décors du célèbre lupanar Le Chabanais marqueront les esprits et lui vaudront une réputation sulfureuse, appuyée par son surnom de « Pubis de Chabanais ». Ils lui permettront surtout d’amorcer une carrière de décorateur notamment pour la grande galerie du château de Chenonceau (1875-1888), pour différents palais de l’Exposition universelle de 1889, pour le théâtre Graslin à Nantes (1895-1898), l’Olympia et la Samaritaine à Paris. Il aura aussi une expérience d’illustrateur notamment pour La Tentation de Saint-Antoine de Gustave Flaubert, sur la demande de l’auteur lui-même en 1881.

Bien qu’il ait voyagé et fait l’essentiel de sa carrière à Paris, Charles Toché n’a jamais perdu le lien avec l’Ouest de la France et, plus précisément, avec sa région natale, la Loire-Inférieure (devenue Loire-Atlantique en 1957) qui faisait partie de la Bretagne jusqu’en 1941. Plusieurs de ses œuvres, dont celle-ci, attestent également de sa présence en pays guérandais et de son intérêt pour les costumes, haut en couleurs, de ce « pays blanc ». Ces aquarelles témoignent toutes de la grande virtuosité de Charles Toché dans ce médium. Le critique Gustave Babin n’hésita d’ailleurs pas à le présenter comme « le plus prestigieux des aquarellistes de tous les temps » (!) dans le journal Comoedia du 23 oct. 1929. Ce talent avait d’ailleurs été mis en avant de son vivant dans des expositions monographiques organisées à la Galerie Georges Petit à Paris, notamment en 1887. Il faut rappeler que sur le modèle anglais une Société des aquarellistes français avait vu le jour en 1878. Les membres exposèrent leurs feuilles les trois premières années chez Durand-Ruel à Paris, puis à partir de 1882 chez le galeriste Georges Petit. Toché fut de ceux-ci.

L’artiste a fait le choix ici de saisir le portrait d’un paludier en costume de cérémonie tel qu’il était porté dans les villages paludiers (Queniquen, Clis, Trevaly, Fourbihan, Trescalan, La Turballe et Pradel) autour de Saillé jusque dans les années 1910. Ce costume ne doit pas être confondu avec celui des villages silicoles du Bourg de Batz (Kervalet, Roffiat, Kermoisan et Trégaté) qui s’en distingue sur plusieurs points. En effet l’homme porte ici une veste de drap de laine de couleur rouge typique de Saillé (et non brune comme à Batz), celle-ci se superposait aux gilets de flanelle et à la chemise de lin à col brodé que l’on aperçoit. Reconnaissable entre tous, le large chapeau en feutre à rebord flexible et à corne, orné de rubans de soie noire et de chenilles multicolores (dites chapelouses) occupe un tiers de la composition. Cette coiffure emblématique du pays paludier, revêtait par sa position sur la tête, un rôle symbolique et identitaire. Ainsi, comme ici, la corne portée sur la nuque caractérisait le port du chapeau à Saillé et délivrait donc des informations sur le village d’origine de son propriétaire. À Batz, la position du chapeau témoignait plutôt de l’état matrimonial de son propriétaire : la corne à gauche pour un célibataire, à droite le jour de son mariage, sur la nuque pour un homme marié et sur le front pour un veuf.

Dès le début du XIXe siècle, cet attrait pour le costume breton fut un des poncifs de la peinture d’inspiration bretonne comme l’attestent les très nombreuses toiles que nous conservons dans nos collections. Cette aquarelle vient donc apporter dans ce registre sa note singulière.

Les séjours de Toché à Pont-Aven et Locronan en 1910 et 1911 ajoutent de la pertinence à l’entrée de cet artiste talentueux, mais encore trop méconnu, dans les collections du musée.